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Une histoire de poutre ( 5) : Attention, la voilà !
Nous l'avions laissée en plan la dernière fois, juste avant son déchargement : attrapée par la grue, la poutre est déposée doucement au sol, à plus de 13m50 sous la fenêtre dans laquelle elle doit se glisser. Elle est à l'envers : en deux manipulations, la grue la retourne. Il reste à bien positionner l'élingue pour maintenir la poutre à un angle de 10° : les marques apposées sur le bois, après mesures diverses, permettent de s'y retrouver.
Il y a une vraie émotion - accompagnée d'un grand silence ! - quand la poutre finalement s'élève à son tour dans les airs : toutes les angoisses ressurgissent d'un coup dans la tête des spectateurs, les acteurs étant trop concentrés sur leur tâche pour s'y arrêter. Dans la salle du 2e étage, on s'affaire encore à accrocher les deux aisseliers ensemble, pour faire contrepoids. Si les deux hommes à l'extérieur surveillent la manœuvre de la grue, ceux à l'intérieur sont encore inconscients de l'approche de la poutre. Et peu à peu, la voilà qui éclipse le jour qui passe par l'ouverture, la pénombre gagne la salle. Quelqu'un lance : "Attention, la voilà !"
À l'intérieur de la fenêtre, on se prépare à réceptionner ce gros morceau : il faut absolument qu'il coulisse bien droit (grâce à des rondins de bois) sur l'un des coussièges - à la moindre torsion, la poutre pourrait arracher ce qui reste des linteaux de la fenêtre ! Elle arrive bien, même plus vite que ce que l'on attendait, emportée par son inertie : un moment, il faut s'arc-bouter contre elle pour la maintenir dans son axe... Et puis elle prend son rythme et commence à "rouler" doucement sur la pierre, guidée de l'intérieur par une longue sangle. Jérôme, en poste dans la fenêtre, a trouvé une astuce très efficace pour l'arrêter dans son élan : avec un simple petit bout de bois, il vient bloquer l'un des rondins !
Une fois qu'elle a bien progressé, on lui accroche au bout du nez une deuxième sangle, avec les aisseliers à l'autre bout. C'est que la grue doit la lâcher, le temps de faire coulisser l'élingue, avant de pouvoir continuer à la faire progresser. Comme plus de la moitié de la poutre est encore hors de la tour, il faut compenser son poids pour éviter qu'elle ne bascule en arrière... A peine est-elle relâchée que voilà la charge qui décolle ! C'est la ruée réflexe : le poids de presque toute l'équipe au sol s'ajoute à celui des aisseliers, le temps de la manœuvre..."Du chêne très sec peut avoir une densité de 0,6", explique Bernard Morin, "c'est-à-dire qu'il flotte ; avec du chêne "vert", on atteint 0,90; avec du cœur de chêne de soixante ans d'âge, 1,1... La densité du chêne peut donc doubler !" Le poids de la poutre se situe bien dans les tranches les plus hautes des estimations faites par les uns et les autres : il faut s'adapter !
Puis on vient poser le nez de la poutre sur un chariot et c'est ainsi, accompagnée de l'intérieur par les gars au sol et ceux dans la fenêtre, de l'extérieur par les deux qui font peu à peu glisser l'élingue sur la poutre, qu'elle progresse vers le mur opposé. La grue accompagne le mouvement en douceur en allant et venant devant le mur extérieur.
En bas, dehors, les curieux fixent les opérations, insoucieux du torticolis qui menace... Le plus dur semble passé.
La suite au prochain épisode...
Pour retrouver les chapitres précédents :
Une histoire de poutre (1) : Casse-tête chinois
Une histoire de poutre (2) : petit retour en 2006
Une histoire de poutre (3) : le chêne providentiel
Une histoire de poutre (4) : Tous sur le pont !
La suite :
Une histoire de poutre (6) : un travail de longue haleine
Une histoire de poutre (7) : un élan collectif
Pour avoir plus d'images, c'est ici.« Rallye pédestre : dernière ligne droite !Une histoire de poutre (6) : Un travail de longue haleine »
Tags : poutre, grue, fenetre, Tour du Bost, Charmoy, Saone-et-Loire, Bourgogne, monument historique, histoire, patrimoine, moyen-age
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