• Barreaux : la traversée des siècles

    Restaurer la Tour du Bost, vous l'aurez compris si vous nous lisez depuis quelque temps, c'est aussi jouer au détective pour coller au mieux à la réalité de l'époque et aux techniques employées autrefois. C'est ainsi que la remise en place des barreaux des fenêtres du niveau IV a permis de faire quelques découvertes passionnantes, par exemple que nous tenons là des barreaux datant de la construction du donjon ! Nous avions trouvé Gauthier Jacquelin, ferronnier d'art, en plein travail cet hiver, tandis que deux gars du chantier s'occupaient à desceller les barreaux toujours en place. Il fallait les restaurer puis les remettre au bon endroit – mais pas n'importe comment !

    Barreaux : la traversée des siècles

    Comment travaillez-vous ?
     
    Je fais un grand travail de récupération et de classement pour disposer d'un maximum de matériaux d'origine pour la tour. Par exemple, quand on enlève des barreaux comme ça, certains seraient tentés de les remplacer parce qu'ils ont trop souffert. Moi, j'analyse le barreau, je le date – du XIVe siècle, par exemple, ou bien de la St-Barthélémy : le genre de barreaux qui valent vraiment le coup qu'on les récupère ! Je fais un travail de restauration, qui me prend plus de temps, mais, par contre, je n'ai pas de matière première à acheter – et le fer, c'est très cher... Ces barreaux-ci sont en fer pur. S'il me fallait les refaire comme un puriste, quelqu'un qui aime vraiment son travail et le fait avec cœur, il ne faudrait pas prendre de l'acier comme on en trouve maintenant, mais utiliser aussi seulement du fer. L'avantage de ce métal pur, c'est qu'il rouille très peu ; ce barreau-là a près de sept cents ans, et il n'est quasiment pas attaqué. Le fer, c'est comme la pierre, c'est comme le bois, quand on sait l'employer, ça ne bouge pas. Et quand on travaille ces barreaux, c'est un régal, c'est comme du beurre !
     
    Que faites-vous en ce moment ?
     
    On dépose tous les barreaux qui sont sur cette fenêtre pour les remettre droits : les pierres ont bougé, la tour était en mauvais état. D'une façon générale, si les pierres ne sont pas remises à leur place d'origine, on s'arrange : on peut par exemple travailler un barreau en le déviant un peu, pour qu'il puisse se reloger dans le trou. C'est tout un jeu à faire en fonction de l'emplacement du barreau, pour atteindre une symétrie qui soit esthétique. Si ces barreaux-là avaient été posés au XVIe siècle, en pleine guerre de religion, comme nous sommes en milieu rural, les gars n'auraient pas eu le temps de fignoler. Il n'y avait pas de Protestants ici, mais les gens craignaient les troubles ; ils se dépêchaient donc de poser des barreaux, à la va-vite.

    Mais dans cette fenêtre, au nord, on a découvert que ces barreaux datent plutôt du XIVe, de l'origine de la tour : la façon dont ils sont engagés dans la pierre implique qu'ils y ont été mis au moment de la construction. Les gens ont donc pris le temps de les poser correctement, bien droits. L'ouverture ayant bougé elle aussi, il faut les mettre d'aplomb tout gardant une harmonie d'ensemble.
     
    En quoi consiste la restauration d'un barreau ?
     
    Je garde le maximum de son originalité. Quand il n'est pas trop attaqué, je recharge à la soudure et je repasse à la forge ; quand il l'est trop, je coupe et je mets un morceau de Barreaux : la traversée des sièclesfer pur - mais moderne. Il faut que j'évite au maximum de chauffer à nouveau ce barreau pour ne pas apporter de carbone récent dans le fer : cela permettra des recherches ultérieures, de datation par exemple. Je chauffe les extrémités, les plus atteintes. Je passe le reste à la brosse métallique rotative puis je le vernis avec un produit spécial pénétrant qui ne va pas changer la composition moléculaire, toujours pour préserver la possibilité d'analyser le barreau. On aura toujours les techniques de forge, on saura de quoi les ouvriers d'autrefois sont partis, s'ils ont fait des soudures à la forge, des récupérations de charrue etc. C'est ça qui est intéressant. Ces barreaux ont été faits avec rien, on avait peu de moyens à l'époque. Grâce à eux, on peut entrer dans l'histoire et imaginer les conditions dans lesquelles nos ancêtres travaillaient.

     

    Barreau restauré (à gauche)
    et barreau en route pour la restauration

    Que vous « racontent »-ils, ces barreaux ? 

    Barreaux : la traversée des sièclesOn voit bien les altérations du métal qu'il faut restaurer. Ce sont des défauts de forge. Ces barreaux-là sont faits de plusieurs morceaux de fer qui sont soudés à chaude portée : on fait presque fondre le métal et on le raboute, en le frappant, pour le souder. Quelquefois, il reste de petites impuretés qui vont faire entrer l'oxygène, ce qui va créer une sorte de bulle : boum !

    On voit aussi comment les gars ont coupé les barreaux. Ils donnaient quatre coups, un sur chaque face du barreau, avec un gros outil qu'on appelle une tranche, à coups de masse, sur l'enclume, le tout à blanc. Ensuite, ils refroidissent le barreau, le tapent un grand coup sur l'enclume : une grosse vibration, et les ondes de choc font que ça se casse en deux. Cela va très vite. C'est un système qui permet de couper des fers plus rapidement que si on prenait un appareillage électrique conventionnel. Moi, je n'hésite pas à utiliser cette technique. C'est intéressant : plus rapide et sans électricité !
     
    Certains barreaux n'ont pas la même épaisseur...
     
    Les gars, même au XIVe siècle, avaient peu de fer, tout en l'utilisant pur. On sent qu'ils ont étiré le barreau le plus fin possible pour qu'il soit à la bonne longueur : ils ont fait avec les moyens du bord. Mais ça ne gêne pas l'esthétique.
     
    Pour faire mieux connaissance avec Gauthier Jacquelin :
    Gauthier Jacquelin : l'art de la fusion
    Il y a sur le blog de nombreux articles concernant la restauration du niveau 4, dont ceux-ci, qui vous permettront de "remonter" la série :
    Une histoire de poutre (7) : un élan collectif
    Niveau 4 : Vers les finitions
    Et notamment deux albums photos : La poutre du niveau 4 et Le plafond du niveau 4

     

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