• La porte d'entrée : voyage dans le temps (3)

     

     

    Si vous nous rendez visite, pendant les ouvertures au public de l'été ou sur rendez-vous, vous verrez qu'en entrant dans la tour, après avoir suivi des yeux les murailles, jusqu'au sommet, on a tendance a être attiré par ses profondeurs : la salle qui s'ouvre devant nous, l'escalier qui grimpe à gauche, voire la bouche d'ombre qui s'enfonce à droite... Ayez l’œil pourtant en passant le seuil : on peut y lire toute une histoire que Gauthier Jacquelin nous raconte.

     

    "Au moment de poser la pierre de seuil, lorsque nous nous sommes occupés de la porte d'entrée, catastrophe : les gars ont posé la pierre, ils la tapent pour la positionner – ils fendent la pierre ! Le mortier est déjà pris, pas moyen de l'enlever, d'ailleurs où trouver une autre pierre de cette taille, que faire ? Moi, comme je suis en train de poser la porte, j'avais déjà fait ma gâche, qui allait venir dans cette pierre. Alors je l'ai modifiée, j'ai fait une gâche en forme de crampon, scellée au plomb, pour retenir les deux parties de la pierre. Comme ça, c'était assemblé, cela ne pouvait plus bouger !"

    La porte d'entrée : voyage dans le temps (3)

    Aujourd'hui, la lézarde se devine à peine.

    "Les gars du XVIIIe siècle n'auraient pas dit : « Allez il faut changer la pierre, injecter des résines etc ! » Non, il faut arrêter de sauter sur des solutions non adaptées. On se met dans la mentalité de l'époque, et on fait avec les moyens du bord. Cette fissure, c'est un accident et en même temps, ça a de la gueule."
     
    Voulez-vous parier que lorsque vous franchirez l'imposante porte de la Tour du Bost, la prochaine fois, vous passerez un petit moment à observer ce seuil, avant de plonger dans les entrailles du donjon ?
     
    Retrouvez Gauthier Jacquelin :
    Gauthier Jacquelin : l'art de la fusion
    Les articles précédents concernant la porte d'entrée de la Tour :
    La porte d'entrée : voyage dans le temps (1)
    La porte d'entrée : voyage dans le temps (2)
    Et concernant le travail du métal :
    Barreaux : la traversée des siècles

     


    votre commentaire
  • Revenons à notre porte d'entrée, inexistante pendant plusieurs siècles, jusqu'à ce qu'à la fin du XXe, pour des raisons de sécurité, il devienne nécessaire de fermer la Tour du Bost...

    La porte d'entrée : voyage dnas le temps (2)

    La porte à deux battants, inspirée de celles de l'époque de percement de l'ouverture (XVIIIe), est une "2/3-1/3" : cela permet de ne pas laisser trop entrer le froid (il n'est pas nécessaire d'ouvrir entièrement) tout en étant à l'aise pour passer, avec un rabattement facile.

    La porte d'entrée : voyage dans le temps (2)"On est au XVIIIe, c'est à peu près l'époque Louis XV des campagnes, Louis XVI (on avait 50 ans de retard sur les styles), explique Gauthier Jacquelin. On se met au goût du jour, on fait les entrées de serrure comme elles étaient. Il ne faut pas qu'on voie la différence entre le neuf et l'ancien. Les clous, je ne les aime pas trop : les gars ont pris des clous industriels faits à l'ancienne, qui sont relativement inoxydables, moi je forge les clous mais à l'époque, je n'étais pas prêt... Par contre, la technique d'assemblage est respectée. J'ai mis des pentures dans le même style : il faut être basique, logique et coller au contexte culturel de l'époque. C'est ce qu'on appelle des pentures à moustaches, c'est ce qu'on faisait souvent au milieu des portes."  
         
     
    Ce travail a quand même été l'occasion d'utiliser des techniques anciennes, comme le précise l'homme de l'art: "Les gars du chantier ont dû retoucher la pierre, parce que forcément, elle n'avait jamais été ajustée à une porte. On a été obligé de faire nos trous pour les gonds et de sceller au plomb. Sceller au plomb sur les côtés, c'est difficile : il faut mettre des tôles en forme d'entonnoir et couler le plomb à l'intérieur. On met un chiffon humide pour que ça refroidisse le plomb sur la tôle, afin qu'il ne coule pas. Au Moyen-Age, on prenait de l'argile, mélangée à du petit foin et à de la bouse de vache, on balançait ça contre la paroi autour du gond à sceller, on posait un entonnoir dans la terre fraîche, on laissait sécher et après on coulait dedans. Souvent, il arrive qu'on retrouve des morceaux de terre qui ont cuit et on arrive à reconstituer ces petits coffrages qui servaient à couler le plomb. C'est ingénieux !"
     
    Retrouver Gauthier Jacquelin ?
    Gauthier Jacquelin : l'art de la fusion
    En savoir plus sur les barreaux de la Tour du Bost ?
    Barreaux : la traversée des siècles
    Le premier volet (hé hé) des articles sur la porte d'entrée :
    La porte d'entrée : voyage dans le temps (1)


    votre commentaire
  • La porte d'entrée : voyage dans le temps (1)

    Cette porte, celle qui nous permet aujourd'hui d'accéder à l'intérieur de la Tour du Bost, épaisse, imposante, à double battant, surmontée de son œil de bœuf orgueilleux, équipée de sa grosse clé : cette porte est une pure création !
     
    Elle n'existait pas.
     
    Quelle mouche nous a donc piqués, quand nous nous targuons de restaurer plutôt que de rénover, de suivre au plus près la réalité historique ?

    Il se trouve qu'au XVIIIe siècle, la tour a connu de profondes modifications : on a détruit notamment une tourelle avancée, accolée au bâtiment. Or, c'est par elle que l'on entrait autrefois, à l'étage : une porte au niveau du sol aurait été un énorme point faible dans cette construction défensive, bien trop facile à défoncer... 

    La porte d'entrée : voyage dans le temps (1)Au XVIIIe se pose donc la question d'un accès facile : voilà comment on crée cette ouverture, mais sans jamais l'équiper de porte (en témoigne l'absence d'ajustement des pierres, de trous pour les gonds...). Avec l'avis de l'Architecte en Chef des Monuments Historiques, Frédéric Didier, c'est une porte, telle qu'elle aurait pu être faite du temps de la modification, que nous avons réalisée. « Nous nous sommes plongés dans l'époque (le XVIIIe), explique Gauthier Jacquelin, ferronnier d'art. Au niveau des serrures, c'était surtout un travail de restauration – les pierres avaient un peu souffert, nous avons fait des scellements au plomb, qui étaient les plus appropriés. »
     
     
    Ces scellements au plomb ont été utilisés à plusieurs autres endroits de la tour, notamment pour remettre en place les barreaux qui fermaient les ouvertures du niveau 4. Nous nous pencherons plus précisément sur cette technique une fois prochaine.

    La porte d'entrée : voyage dans le temps (1)

     

    "Ensuite, nous avons fait les verrous." L'une des serrures, une de ces « vieilleries » que nos grands-parents conservaient, génération après génération, a été chinée... Une autre, récupérée ailleurs elle aussi, a été complétée par une gâche confectionnée à partir de tôles anciennes. Parmi les ferrures, il en est même une qui vient de la tour elle-même !
     
     
     
     
    Pour mieux faire connaissance avec Gauthier Jacquelin :
    Gauthier Jacquelin : l'art de la fusion
    Un autre article concernant le travail du métal dans la Tour du Bost :
    Barreaux : la traversée des siècles


    votre commentaire
  • Restaurer la Tour du Bost, vous l'aurez compris si vous nous lisez depuis quelque temps, c'est aussi jouer au détective pour coller au mieux à la réalité de l'époque et aux techniques employées autrefois. C'est ainsi que la remise en place des barreaux des fenêtres du niveau IV a permis de faire quelques découvertes passionnantes, par exemple que nous tenons là des barreaux datant de la construction du donjon ! Nous avions trouvé Gauthier Jacquelin, ferronnier d'art, en plein travail cet hiver, tandis que deux gars du chantier s'occupaient à desceller les barreaux toujours en place. Il fallait les restaurer puis les remettre au bon endroit – mais pas n'importe comment !

    Barreaux : la traversée des siècles

    Comment travaillez-vous ?
     
    Je fais un grand travail de récupération et de classement pour disposer d'un maximum de matériaux d'origine pour la tour. Par exemple, quand on enlève des barreaux comme ça, certains seraient tentés de les remplacer parce qu'ils ont trop souffert. Moi, j'analyse le barreau, je le date – du XIVe siècle, par exemple, ou bien de la St-Barthélémy : le genre de barreaux qui valent vraiment le coup qu'on les récupère ! Je fais un travail de restauration, qui me prend plus de temps, mais, par contre, je n'ai pas de matière première à acheter – et le fer, c'est très cher... Ces barreaux-ci sont en fer pur. S'il me fallait les refaire comme un puriste, quelqu'un qui aime vraiment son travail et le fait avec cœur, il ne faudrait pas prendre de l'acier comme on en trouve maintenant, mais utiliser aussi seulement du fer. L'avantage de ce métal pur, c'est qu'il rouille très peu ; ce barreau-là a près de sept cents ans, et il n'est quasiment pas attaqué. Le fer, c'est comme la pierre, c'est comme le bois, quand on sait l'employer, ça ne bouge pas. Et quand on travaille ces barreaux, c'est un régal, c'est comme du beurre !
     
    Que faites-vous en ce moment ?
     
    On dépose tous les barreaux qui sont sur cette fenêtre pour les remettre droits : les pierres ont bougé, la tour était en mauvais état. D'une façon générale, si les pierres ne sont pas remises à leur place d'origine, on s'arrange : on peut par exemple travailler un barreau en le déviant un peu, pour qu'il puisse se reloger dans le trou. C'est tout un jeu à faire en fonction de l'emplacement du barreau, pour atteindre une symétrie qui soit esthétique. Si ces barreaux-là avaient été posés au XVIe siècle, en pleine guerre de religion, comme nous sommes en milieu rural, les gars n'auraient pas eu le temps de fignoler. Il n'y avait pas de Protestants ici, mais les gens craignaient les troubles ; ils se dépêchaient donc de poser des barreaux, à la va-vite.

    Mais dans cette fenêtre, au nord, on a découvert que ces barreaux datent plutôt du XIVe, de l'origine de la tour : la façon dont ils sont engagés dans la pierre implique qu'ils y ont été mis au moment de la construction. Les gens ont donc pris le temps de les poser correctement, bien droits. L'ouverture ayant bougé elle aussi, il faut les mettre d'aplomb tout gardant une harmonie d'ensemble.
     
    En quoi consiste la restauration d'un barreau ?
     
    Je garde le maximum de son originalité. Quand il n'est pas trop attaqué, je recharge à la soudure et je repasse à la forge ; quand il l'est trop, je coupe et je mets un morceau de Barreaux : la traversée des sièclesfer pur - mais moderne. Il faut que j'évite au maximum de chauffer à nouveau ce barreau pour ne pas apporter de carbone récent dans le fer : cela permettra des recherches ultérieures, de datation par exemple. Je chauffe les extrémités, les plus atteintes. Je passe le reste à la brosse métallique rotative puis je le vernis avec un produit spécial pénétrant qui ne va pas changer la composition moléculaire, toujours pour préserver la possibilité d'analyser le barreau. On aura toujours les techniques de forge, on saura de quoi les ouvriers d'autrefois sont partis, s'ils ont fait des soudures à la forge, des récupérations de charrue etc. C'est ça qui est intéressant. Ces barreaux ont été faits avec rien, on avait peu de moyens à l'époque. Grâce à eux, on peut entrer dans l'histoire et imaginer les conditions dans lesquelles nos ancêtres travaillaient.

     

    Barreau restauré (à gauche)
    et barreau en route pour la restauration

    Que vous « racontent »-ils, ces barreaux ? 

    Barreaux : la traversée des sièclesOn voit bien les altérations du métal qu'il faut restaurer. Ce sont des défauts de forge. Ces barreaux-là sont faits de plusieurs morceaux de fer qui sont soudés à chaude portée : on fait presque fondre le métal et on le raboute, en le frappant, pour le souder. Quelquefois, il reste de petites impuretés qui vont faire entrer l'oxygène, ce qui va créer une sorte de bulle : boum !

    On voit aussi comment les gars ont coupé les barreaux. Ils donnaient quatre coups, un sur chaque face du barreau, avec un gros outil qu'on appelle une tranche, à coups de masse, sur l'enclume, le tout à blanc. Ensuite, ils refroidissent le barreau, le tapent un grand coup sur l'enclume : une grosse vibration, et les ondes de choc font que ça se casse en deux. Cela va très vite. C'est un système qui permet de couper des fers plus rapidement que si on prenait un appareillage électrique conventionnel. Moi, je n'hésite pas à utiliser cette technique. C'est intéressant : plus rapide et sans électricité !
     
    Certains barreaux n'ont pas la même épaisseur...
     
    Les gars, même au XIVe siècle, avaient peu de fer, tout en l'utilisant pur. On sent qu'ils ont étiré le barreau le plus fin possible pour qu'il soit à la bonne longueur : ils ont fait avec les moyens du bord. Mais ça ne gêne pas l'esthétique.
     
    Pour faire mieux connaissance avec Gauthier Jacquelin :
    Gauthier Jacquelin : l'art de la fusion
    Il y a sur le blog de nombreux articles concernant la restauration du niveau 4, dont ceux-ci, qui vous permettront de "remonter" la série :
    Une histoire de poutre (7) : un élan collectif
    Niveau 4 : Vers les finitions
    Et notamment deux albums photos : La poutre du niveau 4 et Le plafond du niveau 4

     


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique